Mobilité sociale

Mobilité sociale

18 mars 2019 0 Par Amine Nasrallah

PRÉREQUIS

Le premier chapitre de ce thème nécessite d’acquérir la notion de PCS (professions et catégories socioprofessionnelles). De plus, il peut être utile, même si ce n’est pas obligatoire, de connaître les six PCS d’actifs utilisées en France par l’INSEE.

OBJECTIFS

Après avoir distingué la mobilité sociale intergénérationnelle d’autres formes de mobilité (géographique, professionnelle), on se posera le problème de sa mesure à partir de l’étude des tables de mobilité sociale dont on soulignera à la fois l’intérêt et les limites.

On distinguera la mobilité observée et la fluidité sociale et on mettra en évidence l’existence de flux de mobilité verticale (ascendante et descendante) et horizontale. On étudiera différents déterminants de la mobilité et de la reproduction sociale : l’évolution de la structure socioprofessionnelle, le rôle de l’école et de la famille.

Maîtriser les notions suivantes : Mobilité intergénérationnelle/intra-générationnelle, mobilité observée, fluidité sociale, déclassement, capital culturel, paradoxe d’Anderson.

Introduction

Avant d’aborder ce chapitre, concentrons-nous sur quelques définitions :

Définition : PCS. Profession et Catégories Socioprofessionnelles. On distingue 6 PCS pour les actifs :

– Les agriculteurs exploitants

– Les Artisans, Commerçants et Chefs d’Entreprise (ACCE)

– Les cadres et professions intellectuelles supérieurs (CPIS)

– Les professions intermédiaires

– Les employés

– Les ouvriers

Définition : Position sociale. Il s’agit du PCS d’un individu.

Définition : Origine sociale. Il s’agit du PCS du père de l’individu.

Définition : Mobilité intragénérationnelle. Changements de situation professionnelle (PCS) d’un individu au cours de sa vie active.

Définition : Mobilité intergénérationnelle. Changements de position sociale d’un individu par rapport à celle de son père (origine sociale).

Définition : Mobilité structurelle. Mobilité imposée par les changements de la structure socioprofessionnelle.

Définition : Mobilité nette. Mobilité qui ne dépend pas des évolutions de la structure socioprofessionnelle.

Mobilité nette = Mobilité brute (ou observée) – Mobilité structurelle

I. LA DIVERSITÉ DES MOBILITÉS

On part de deux études de la mobilité : la mobilité intragénérationnelle et la mobilité intergénérationnelle (voir définitions plus haut).

La mobilité intergénérationnelle sera :

  • Horizontale si le fils garde la même PCS que son père. Cela ne signifie pas qu’ils exercent forcément la même profession. Par exemple, un fils médecin et un père professeur.
  • Verticale si la PCS d’un individu est différente de celle de son père. Elle peut être verticale ascendante ou verticale descendante.
    • Si la position sociale est supérieure à l’origine sociale, c’est une mobilité verticale ascendante. Par exemple, un individu cadre dont le père est ouvrier.
    • Si la position sociale est inférieure à l’origine sociale, c’est une mobilité verticale descendante. Par exemple, un individu employé dont le père est profession intermédiaire.

L’Insee utilisera les PCS et les tables de mobilité pour observer ces phénomènes de mobilité intergénérationnelle.

A. La mobilité observée

Les tables de mobilité permettent de mesurer la mobilité intergénérationnelle. Elles comparent la position sociale d’un individu (sa PCS) avec son origine sociale (la PCS de son père).

Il existe trois types de tables de mobilité : la table en effectifs, la table de destinée et la table de recrutement.

1. Les tables en effectifs

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La table en effectifs est exprimée en milliers. Elle met en valeur la répartition de chaque PCS au sein de la société (celle des fils et celle des pères).

Ce premier tableau permet de voir les évolutions des fils par rapport à leur père (au même âge entre 40 et 59 ans), on est donc dans une mobilité intergénérationnelle.

Une première lecture que l’on peut faire, c’est le nombre de fils qui ont la même PCS que leur père : on parlera de fils immobiles. Pour cela, il suffit d’additionner les données en diagonale comme indiqué sur le graphique.

252 + 182 + 310 + 263 + 108 + 1271 = 2488 milliers

soit 35.30 % de fils immobiles en 2003.

Par soustraction, cela signifie que 7047 – 2488 = 4559 milliers de fils qui n’appartiennent pas à la CSP de leur père. Soit 64.70 % des fils qui ont connus une mobilité sociale.

2. Les tables de destinée

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La table de destinée met en valeur ce que sont devenus les fils d’une PCS spécifique. La table de destinée répond à la question « que deviennent les fils de la PCS X ? ».

Par exemple, pour les cadres, 53 % des fils ayant un père cadre sont devenus cadres. De même avec les ouvriers, 46 % des fils ayant un père ouvrier sont devenus ouvriers. (Autre formulation, sur 100 fils d’ouvriers, 46 sont devenus ouvriers).

À la lecture de la table de destinée, on peut constater qu’il existe une reproduction plus ou moins forte suivant les catégories.

On peut noter que la mobilité du fils par rapport au père se fait le plus souvent dans la catégorie immédiatement supérieure et que la mobilité descendante est moins courante.

3. Les tables de recrutement

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La table de recrutement met en valeur l’origine des membres d’une PCS spécifique. Elle répond à la question « quelle était la PCS des pères de la PCS Y ? ». Par exemple, 88% des agriculteurs avaient un père lui-même agriculteur.

B. La mobilité structurelle

En France, la société était autrefois largement dominée par l’agriculture, c’était une société dite primaire. Mais la révolution industrielle a modifié la structure sociale : une société industrielle voit croître le nombre d’ouvriers et décroître le nombre d’agriculteurs.

Certains individus ont donc dû changer de PCS par rapport à celle de leur père dans la mesure où il n’y avait pas de « place » dans la PCS de leur père. C’est la mobilité structurelle, autrement dit la mobilité qui s’explique par un changement de la structure de la société.

Depuis la fin des Trente Glorieuses (1945-1975), la société a vécu une tertiarisation. Le secteur tertiaire, celui des services, est désormais dominant. Ainsi, le nombre d’ouvriers a baissé, au profit des PCS comme les employés ou les cadres. Une fois encore, suite à cette modification, certains individus ont été dans l’obligation de changer de PCS par rapport à celle de leur père.

C.  La fluidité sociale

La fluidité sociale met en valeur le lien entre position sociale et origine sociale. Autrement dit, les statisticiens cherchent à rendre compte de l’influence de l’origine sociale d’un individu sur sa position sociale.

Dans une société peu fluide, la PCS du père a beaucoup d’impact sur la position sociale de l’individu. Ainsi, un fils de cadre aura beaucoup plus de chances de devenir lui-même cadre par rapport à un fils d’ouvriers. Il n’y a donc pas égalité des chances.

Au contraire, dans une société parfaitement fluide, l’égalité des chances est maximale. Quelle que soit l’origine sociale d’un individu, il aura la même probabilité qu’un autre individu d’occuper une position sociale.

II. LES LIMITES DES TABLES DE MOBILITÉ

A. L’absence des femmes

Les premières études de mobilité datent de l’après Seconde Guerre mondiale. De ce fait, elles ne prennent pas encore en compte les femmes, mais seulement les pères et les fils.

Dans une société où la place des femmes au travail n’a cessé de se développer, c’est une des principales limites de l’étude des tables de mobilité. Autrement dit, 50% de la population active n’est pas prise en compte dans les tables de mobilité.

B. Des PCS trop « larges »

Une seconde limite est la « grandeur » des catégories. La population active étant divisée en 6 catégories uniquement, chaque PCS est extrêmement vaste et une grande diversité de métiers et de professions se retrouvent dans la même PCS alors même qu’ils n’ont aucun point commun.

Prenons pour exemple la PCS 3 : Cadre et professions intellectuelles supérieures. Un père médecin a un fils qui devient professeur, ce n’est pas le même métier. Cependant, ils sont dans la même catégorie. Le fils sera donc considéré comme immobile par rapport à son père.

C. L’évolution des métiers non prise en compte

Les métiers d’hier ne sont pas les métiers d’aujourd’hui et pourtant, ils sont toujours classés dans la même PCS. Ainsi, les six PCS utilisées en 2019 par l’INSEE sont restées inchangées ; contrairement aux professions qui les composent.

Exemple : Un ouvrier à la chaîne appartient à la même PCS qu’un ouvrier, responsable du management d’une équipe, de la maintenance d’une machine, etc. Les données et leur analyse doivent donc être prises avec réserve.

III. LES DÉTERMINANTS DE LA MOBILITÉ SOCIALE ET DE LA REPRODUCTION SOCIALE

A. L’évolution de la structure socio-professionnelle

Comme nous l’avons vu précédemment, l’évolution de la structure de la société a un impact sur la mobilité des individus. Le passage d’une société primaire à une société industrielle puis à une société tertiaire a engendré des changements de PCS entre le père et son fils. C’est la mobilité structurelle.

Par exemple, des fils d’agriculteurs sont devenus ouvriers. Ou encore des fils d’ouvriers sont devenus employés.

B. L’École

1. École et mobilité sociale

L’École a pour fonction de fournir à chacun les mêmes bases pour réussir socialement et garantir l’égalité des chances. L’École est ouverte à tous (massification), quel que soit le sexe ou la PCS (démocratisation). De plus, elle est gratuite pour éviter toute discrimination.

Ainsi, les mêmes valeurs y sont véhiculées ainsi que les mêmes règles de vie commune. Le programme est national, c’est-à-dire que tous les enfants/élèves disposent du même socle de connaissances. Enfin, l’École repose sur le principe de la méritocratie. Celui qui travaille réussit, et inversement.

Ainsi, dans les textes fondateurs de l’École, cette dernière favorise et promeut l’égalité des chances.

2. École et immobilité sociale

Pourtant, plusieurs sociologues ont remis en cause l’efficacité de l’École à assurer l’égalité des chances. Au contraire, ils l’accusent d’engendrer l’immobilité sociale, c’est-à-dire la reproduction sociale.

Le paradoxe d’Anderson. Il convient cependant de mettre un bémol sur le rôle des diplômes, en effet, Charles Anderson, déjà en 1961, constatait que l’obtention d’un diplôme supérieur à celui de ses parents ne garantit pas forcément d’accéder à un statut social plus élevé (paradoxe d’Anderson).

Le déclassement social scolaire. On remarque une augmentation plus rapide des diplômés que des postes proposés pour ces formations, cela entraîne donc une dépréciation de la valeur des diplômes.  On le constate de plus en plus actuellement, où pour un poste avec un recrutement de BEP, il y a une vingtaine d’année, il est maintenant nécessaire d’avoir un Bac +2. On peut donc parler dans ce cas d’un déclassement social.

C. La famille

1. Pierre Bourdieu et les capitaux

Selon Pierre Bourdieu, l’École est partiellement défaillante dans sa volonté de promouvoir l’égalité des chances. En effet, la détention par les familles de capitaux (social, culturel, économique) favorise la réussite scolaire.

La culture et les connaissances inculquées par l’École sont celles des classes supérieures, ce qui procure un avantage aux élèves de ces milieux, au détriment de ceux issus des classes populaires. Ce processus conduit donc à la reproduction sociale.

Définition : Capital économique. Ensemble des richesses d’un individu (revenus, patrimoine …).

Définition : Capital social. Réseau de relations sociales, carnet d’adresses.

Définition : Capital culturel. Langages, connaissances, biens culturels, diplômes…

2. Raymond Boudon et le calcul coût/avantage

Selon Raymond Boudon, à chaque « carrefour » d’orientation, les familles font des choix rationnels. Elles vont effectuer un calcul coût/avantage en comparant ce que leur coûtera une année supplémentaire d’études avec ce que cela pourrait leur rapporter.

Les coûts sont d’ordre économiques : prix du cursus choisi ; mais également psychologiques : prestige social d’un métier.

Ainsi, une famille d’ouvriers aura tendance à privilégier des cursus courts et professionnalisant pour minimiser les coûts et obtenir un revenu rapidement. Une famille de cadres aura tendance à privilégier des filières longues et générales étant moins sensibles aux coûts des études, mais attentifs au futur statut social.

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