Faut-il dévaluer le dirham pour relancer l’économie marocaine?

Faut-il dévaluer le dirham pour relancer l’économie marocaine?

17 décembre 2019 0 Par Amine Nasrallah
Par Sara El Hanafi | LE 15-12-2019
La dévaluation est une baisse de la valeur du Dirham voulue et actée par les autorités monétaires. Des voix s’élèvent dans le monde des affaires pour la revendiquer, alors que le Maroc est sévèrement concurrencé dans plusieurs marchés à l’export et son marché local inondé par les produits d’importation.

La dévaluation du Dirham marocain est un sujet évoqué de plus en plus fortement dans le microcosme marocain des affaires. C’est une mesure par laquelle l’Etat abaisse volontairement la valeur de la monnaie nationale par rapport à ce qu’elle vaut sur le marché, dans l’objectif de renforcer la compétitivité prix de l’offre exportable marocaine.

Le sujet est évoqué surtout par ceux qui s’attendaient à une dépréciation naturelle de la valeur du dirham depuis l’entrée en vigueur, en janvier 2018, d’un régime de change plus flexible. Ces opérateurs ont été déçus de voir le dirham plutôt s’apprécier.

A noter que “dépréciation” est un recul causé par la loi de l’offre et de la demande sur le marché, et que “dévaluation” est une baisse de la valeur voulue et actée par les autorités financières et monétaires.

Dans l’état actuel des choses, l’offre exportable du Maroc se trouve évincée de plusieurs marchés face à la concurrencce dont la monnaie s’est fortement dépréciée (Turquie, Egypte…). Le cas des agrumes est parlant.

De plus, un dirham fort arrange les importateurs dont le pouvoir d’achat se trouve renforcé. Le pays est actuellement submergé par les produits d’importation, sur quasiment tous les segments, aussi bien d’équipement que de grande consommation.

Il s’agit également d’un inconvénient pour l’attraction des IDE (Investissements directs étrangers), le tourisme, et le transfert des MRE.

Ici et là, des voix s’élèvent donc, requérant une dévaluation de la monnaie nationale décidée par l’Etat. Pour elles, une dévaluation permettrait de dynamiser l’économie marocaine.

Mais du côté des autorités monétaires, réputées par leurs politiques conservatrices, c’est un niet catégorique et les raisons se répètent: Pour un pays comme le notre, grand importateur, une dévaluation renchérirait les importations, pénalisant le pouvoir d’achat des marocains et la capacité d’investissement des opérateurs économiques, qui redoutaient déjà ce phénomène dès les premières réflexions sur la flexibilisation du Dirham.

De Abdellatif Jouahri à Mohamed Benchaâboun, en passant même par le Fonds monétaire international en la personne de Nicolas Blancher, chef de la mission de consultation pour le Maroc; le discours est le même. Les efforts doivent plutôt aller du côté du renforcement de l’industrie, de l’attractivité touristique, du maintien de la stabilité économique et politique du Maroc pour attirer les IDE, etc.

Un “oui, mais…” chez les exportateurs

Pour Hakim Marrakchi, vice-président de l’Asmex (Association marocaine des exportateurs), bien que la dévaluation du Dirham soit une solution envisageable et “tôt ou tard souhaitable”, elle n’est pas suffisante à elle seule pour booster les exportations du Maroc.

“La dévaluation est une mesure susceptible de profiter provisoirement aux exportations, sans corriger les vrais problèmes de l’économie”, avance-t-il.

Celui-ci estime que l’industrie marocaine souffre d’abord d’un problème de compétitivité, conséquence outre les problématiques de coûts, de diverses difficultés réglementaires et d’entraves à l’investissement industriel au Maroc.

Pour des produits dérivés des agrumes ou de l’huile d’olive par exemple, où l’offre marocaine peine à s’exporter face à de nouveaux concurrents souvent moins chers, le vice-président de l’ASMEX indique qu’il ne s’agit pas uniquement d’un problème de cherté du Dirham mais plutôt de manque de valeur ajoutée.

“La valeur ajoutée exportée est faible car nous ne savons pas mettre en valeur nos produits. Pour y pallier, le marché de l’agriculture doit être élargi à l’agro-industrie”, explique-t-il.

Il cite l’exemple de l’huile d’olive marocaine qui est en grande majorité exportée en vrac: “Mais la valeur ajoutée n’est pas dans le vrac, elle est plutôt dans des éléments comme le packaging ou le marketing lié au terroir, pour le valoriser”, précise-t-il.

Cet exemple s’étend à d’autres produits selon notre interlocuteur, qui estime que les industriels exportateurs ne sont pas encouragés à investir dans des procédés innovants, et font face à beaucoup d’entraves ; contrairement à d’autres secteurs.

“Dans l’exemple de l’huile d’olive et d’autres activités similaires, les industries liées à l’exploitation du produit sur le site de production doivent être encouragées pour maximiser les saveurs et différencier les produits. Or à présent, l’investissement dans ce type de projets souffre d’entraves administratives”, regrette notre interlocuteur.

Il ajoute: “Nous faisons face à des difficultés très variées, liées à l’absence ou à l’insuffisance de cahiers de charges transparents et d’un droit opposable pour l’investisseur. La conséquence est que nous avons à faire face à des multitudes de commissions pas toujours utiles et qui parfois multiplient les entraves, en plus d’une réglementation du travail qui est d’un autre âge et de prélèvements fiscaux qui saignent l’industrie”.

“Ainsi, un entrepreneur qui crée de l’emploie subit toutes sortes de handicaps alors que lorsque vous investissez en bourse, vous êtes imposé à 15% et c’est tout, et seulement lorsque vous avez un bénéfice. Nous sommes dans un système qui ne favorise ni la productivité de l’investissement ni l’innovation d’une manière générale”, s’indigne-t-il.

En gros, il avance qu’avec une productivité et une compétitivité faibles, une dévaluation boostera l’économie mais seulement à court terme, si on ne favorise pas au préalable la relance de la production nationale. Si la dévaluation semble avoir porté ses fruits pour des pays émergents comme la Turquie, l’Egypte ou même la Tunisie, c’est simplement parce que ces pays ont un secteur industriel plus développé: “Au Maroc le secteur industriel ne pèse pas beaucoup dans l’économie”, affirme M.Marrakchi.

“La dévaluation du Dirham à elle seule ne suffira pas. La production nationale sera un peu plus compétitive, mais s’il n’y a pas un effort massif pour relancer la production nationale, cette mesure renchérira les importations et induirait une baisse de la consommation », ajoute-il.

Enfin, pour notre interlocuteur, le souci ultime n’est pas d’augmenter mécaniquement la valeur des exportations mais de s’assurer que cette augmentation s’accompagne par une croissance de la valeur ajoutée: “Les exportations marocaines sont en croissance mais en parallèle, la valeur ajoutée croît faiblement ; alors que l’emploi est plus lié à la valeur ajoutée qu’au volume exporté. Et l’emploi est faible au Maroc, c’est incontestable”, conclut Hakim Marrakchi.

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